
🗻Chronique🗻
« -Ici, on a tout son temps. »
C’est ainsi sur la Roca Pelada. Le temps s’étire, le temps s’écoule à une vitesse surréaliste de lenteur. Il reste donc du temps pour réfléchir à la solitude, aux exigences, à l’emprise, aux cieux. Le temps est à la contemplation, à la pesanteur, à l’indomptable. Et j’ai aimé ce temps lent, immense. J’ai aimé prendre ce temps pour lire et apprécier à sa juste valeur, la cadence décalée. Ce col est un lieu à la fois de perdition et de salut, selon de quel côté on se place. Le point de vue est primordial, et on culmine à près de cinq mille mètres dans cette lecture, je vous laisse imaginer les perspectives que cela peut ouvrir…On touche presque le ciel à cette altitude, mais le corps et l’esprit subissent, indubitablement, de ce dénuement…Mais c’est surtout que chacun ne voit que la frontière qu’il s’impose à lui-même, alors que le paysage, lui, reste sauvage et insoumis…Alors, que sur les hauteurs, les deux postes-frontières se font face et concurrence, un remplacement inopiné va mettre la zizanie dans le calme ambiant…
Cette montagne est mystérieuse et transforme toutes les personnes. On n’a plus seulement des gardes-frontières plus ou moins zélés qui tentent de vivre ensemble, mais des chemins de vies qui se perdent ou se retrouvent dans ce no man’s land désertique et inhospitalier, créant ainsi, l’étincelle…C’est un moment de pause bienvenue ou effrayante pour ceux qui s’y retrouvent, de gré ou de force…Tout ce temps, c’est un poids considérable qu’ils peuvent tenir entre leurs mains, et qui leur fait voir de près la possibilité d’une éternité indéfectible…Mais pour certains, c’est un trésor et pour d’autres, un dommage…
« -ne cherchez pas de limites là où il n’y en a pas. La magie et la raison sont deux manières différentes de voir la même chose. »
Le livre s’ouvre sur une réflexion de Frida Kahlo sur les frontières. Je crois, comme elle, qu’elles sont absurdes, je préfère ne pas les voir comme telles, et regarder plutôt la beauté et le prestige d’un paysage étourdissant. Mais eux, là-haut, ne voient que cette frontière, ne se concentrent que sur cela, alors qu’elle est invisible. Elle n’est réelle que parce qu’ils sont là pour la définir. Ils la déplacent, la font avancer, reculer, lui donne corps chaque matin, mais elle, elle, s’évapore, glisse, revient, repart, bouge, distend, aimante, gronde, ensorcelle, tremble…Qu’est-ce qu’on fait donc de cette frontière instable là où la magie s’invite, là où l’éternité est invoquée, là où les dieux murmurent? Est-ce de la raison ou de la déraison de croire en une limite entre ciel et terre, entre deux pays, entre deux nationalités, entre deux cultures, entre hommes et femmes, entre nature et humanité? Est-ce qu’elle existe? Je trouve que ce lieu est formidable pour ce temps introspectif et merveilleux de réflexion. Est-ce qu’il existe vraiment des frontières dans cette vie? Est-ce qu’elles sont utiles ou nous empêchent-elles de tendre vers l’Autre? L’autre étant l’inconnu.e, l’indompté.e, la puissance libre…Roca Pelada est une montagne qui n’en a rien à faire de cette ligne imaginaire, elle mène juste les hommes à revoir leurs priorités en lui rappelant bien, leurs insignifiances au regard de sa grandeur…
« Costa se mit à guetter les bruits de la cordillère avec une impatience inhabituelle dans les temporalités élastiques du col. »
S’il est vrai que le vide entoure les lieux, en revanche les bruits qu’il y a sur ce sommet sont nombreux…Pour qui sait tendre l’oreille, les bruits du désir et de l’oubli font rage, les bruits du volcan et des tremblements sont bouillonnants, les bruits des fantômes et de la nostalgie se refondent, les bruits des vrombissements et les cris de joies se font attendre, les bruits des ancêtres et des bêtes se marient, les bruits des secousses et de la désillusion font l’effondrement. Et dans tout ça, vous savez, il y a les ronronnements multiples, qui surgissent, ça et là. La petite femelle puma rôde de part et d’autre de cette frontière, rendant ainsi la symbolique autour de la chasseuse, de la spiritualité, et de la tranquillité encore plus subtile et puissante. Elle est la représentation de la transcendance, de la férocité et du courage, pour préserver la nature sacrée de la montagne. Elle est la gardienne infaillible et veille avec dévotion, sur Roca Pelada…Il y a tellement de bruits sur cette cordillère, alors est-ce que vous entendrez celui de mon cœur qui vibre encore de ce voyage intérieur et magnétique? Je vous conseille de prendre le temps qu’il faudra pour découvrir ce roman, mais la poésie de ce texte devrait vous convaincre à entreprendre l’ascension de cette cordillère enchanteresse…
Remerciements:
Je tiens à remercier très chaleureusement les éditions Métailié de leur confiance et l’envoi de ce livre.
Fév 05, 2023 @ 19:49:23
Bonsoir Stelphique. Quelle chronique ! Cela donne envie d’y plonger malgré le froid. ❄️♥️
Fév 05, 2023 @ 22:32:28
C’est une belle évasion ✨
Fév 01, 2023 @ 16:56:11
Ça donne envie de cordillère ! 😉